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Mauvoisin et Escaladieu

Publi du mercredi 3 octobre 2012
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Abbaye de l'Escaladieu

L’histoire d’un petit secteur des Hautes-Pyrénées relaté par la bouche de Jacques Bujault (Laboureur à Challoue dans les deux sèvres) nous donne un aperçu historique et culturel intéressant pour qui veux comprendre les us et coutumes du moyen-âge.  C’est en effet autour de l’histoire d’une forteresse et d’une abbaye que s’articule cette page d’histoire pleine de pénitence et de fait sanglants.

A trois lieues à l’est de Bagnères-de-Bigorre, et sur le contrefort des Hautes-Pyrénées , on voit un pic élevé , qui domine toutes les petites montagnes qui l’environnent. Ce pic est situé sur le territoire de la commune de Mauvesin, et clôt le bourg à l’est. Il est à une lieue des bains de Capvern au sud-est.

C’est sur ce pic qu’est bâti l’antique château de Mauvesin ou Mauvoisin. Le château de Mauvoisin, dit M. Bertrand, se montre sur la gauche en sortant de la gorge de l’Escaladieu. Ce n’est plus qu’une ruine triste et solitairement assise sur un coteau. Le nom de ce castel était d’assez mauvais augure, et donnerait à penser que son redoutable suzerain faisait partie de ceux qui couraient volontiers sus au vassal, voyageur ou marchand, quand leur escarcelle avait perdu la voix. Au reste, ce ne sont pas seulement des guerres de ce genre dont Mauvoisin a conservé le souvenir parmi les chroniques. C’est en défendant ses murs (au XIVe siècle, en 1374) que Raimonnet de l’Epée se comporta si vaillamment contre le duc d’Anjou, qu’il ne parla de rendre le château que lorsque après six semaines de siège, « la douce-eau lui manqua ; et vint parler au duc qui, ayant écouté ses propositions et accepté, ajouta : Partez-vous-en, et allez votre chemin chacun en son pays, sans vous bouter en fort qui nous soit contraire ; car si vous vous y boutez, et je vous y tienne, je vous délivrerai à Jausselin qui vous fera vos barbes sans rasouer. » Aujourd’hui la charrue envahit de toutes parts le coteau ; le sol serre de près et ébranle le pied du donjon, seul debout parmi les ruines, ombre du temps qui n’est plus, désormais impuissant à se défendre lui-même, et n’ayant plus même un fantôme pour protéger ses créneaux déserts. ».. Il en occupe toute la surface. La vue est magnifique; à trois lieues, au plus, est la haute chaîne des Pyrénées dont on voit tous les accidents ; d’un côté, le petit gave de Mauvesin et celui de Capvern fortement encaissés ; de l’autre, la vallée où coule l’Aros, où se trouve l’ancienne abbaye de l’Escaladieu.

« A deux heures de Bagnères, dit encore M. Bertrand, on rencontre l’Escaladieu, bâti vers le XIIIe siècle par les moines de Citeaux. Ce vieux moulier, dont le nom ( Échelle-à-Dieu ) Indique assez la religieuse pensée qui présida à sa fondation, devint tour à tour l’asile de divers personnages célèbres par leur piété. On cite entre autres saint Bertrand, évoque de Comminges, qui lit, dit-on, plusieurs miracles. La chose fut constatée par un procès-verbal dressé d’après les ordres d’Alexandre III, avantage particulier dont se trouve malheureusement privée plus d’une chronique du même genre. Le saint fut canonisé, et sa mémoire est révérencieusement conservée dans le pays. Le Bigorre n’a pas davantage oublié Pétronille, comtesse de la province, illustrée par des prodiges d’un autre genre. D’abord elle enterra successivement cinq maris, et se préparait bravement à la sixième épreuve, lorsqu’elle succomba elle-même ; puis elle reconnut, par son testament, une dette de dix-huit sols, pour une paire de souliers envoyée par elle à la reine d’Angleterre. Un présent d’une espèce si originale, et entre pareils personnages, fournirait très-certainement à un antiquaire les meilleures raisons d’en induire que les souliers étaient fort rares dans ce temps. Mais, sans nous arrêter à une décision aussi ardue, ce qui ne l’était pas moins, sans contredit, à cette époque, c’était une mémoire si religieuse des engagements contractés. L’Escaladieu aujourd’hui n’a plus rien pour lui que ses vieux souvenirs, semblable en ceci à bien des gloires qui ont vécu trop de temps. Toute vieille forme, élégante ou sévère, a disparu , et l’ancien monastère s’est assez gauchement déguisé eu insignifiante maison de campagne. »

Abbaye de l'Escaladieu

Abbaye de l’Escaladieu

« J’ai visité l’abbaye de l’Escaladieu, écrivait l’auteur de cet article au directeur de la Revue, dont les Anglais égorgèrent les moines un certain jour. Elle est encore debout, et c’est une agréable et solitaire maison de campagne ; mais elle est bien restreinte aujourd’hui, comparativement a ce qu’elle était autrefois, où elle avait, dit-on, vingt-quatre moines très-bien approvisionnés. »

En arrivant sur ce pic, on voit une enceinte de 125 pieds environ sur chaque face, close par une forte muraille de cinquante pieds d’élévation. Cette muraille est consolidée, de vingt pieds en vingt pieds, par un pilier ou arc-boutant, absolument plein, et qui monte jusqu’au sommet. Il n’y a, sur chaque face, dans les 125 pieds de longueur, que deux fenêtres de dimension moyenne, et carrées à peu près. Ces deux fenêtres sont à 22 pieds du sol, de façon qu’il est impossible de pénétrer dans le château sans une longue échelle.

Si l’on faisait pratiquer une ouverture, les étrangers auraient bientôt, à l’aide d’une légère rétribution, payé la dépense.

A l’ouest de cette enceinte, on a accolé à la muraille une tour carrée d’une grande élévation (90 à 100 pieds peut être). Elle n’occupe que le tiers environ de la façade de 125 pieds. Cette tour, dont les créneaux existent encore, est bien postérieure au château. On voit, par-ci par-là, des rangs de briques, tandis qu’ailleurs il n’y en a pas une seule.

Ces murailles, qui existent depuis 8 à 900 ans, doivent durer deux mille ans peut-être. Il n’y a que la foudre qui peut les abattre. Construites en marbre et eu galets, elles sont liées par un ciment indestructible.

Les habitants du village de Mauvesin ont essayé de détruire ce château pour en avoir les pierres; ils ont fait des excavations de six à huit pieds de profondeur; mais ils ont renoncé à cette entreprise. On a seulement enlevé les marbres taillés des fenêtres, les parapets, les créneaux des murailles du château ; mais ceux de la tour existent encore. Il est maintenant défendu de dégrader.

château de Mauvesin ou Mauvoisin

château de Mauvesin ou Mauvoisin

Je pense que jusqu’à 15 pieds d’élévation les murailles ont 25 pieds d’épaisseur. Elles peuvent avoir sept pieds sur le sommet.

Autour de cette masse, il y avait un fossé fermé seulement par une forte muraille d’enceinte extérieure, construite sur les arêtes du pic. Je ne crois point qu’on ait attaqué le rocher, car c’était inutile. Cette muraille a été détruite, et les matériaux ont disparu. Il en reste seulement une très-petite partie à l’ouest, où se trouvait le pont-levis.

Pour en défendre l’entrée, il y avait une petite forteresse, et le chemin tournait court sur la droite.

Pénétrons maintenant dans cette enceinte. On y trouve des débris, des herbes et des arbustes qu’on coupe chaque année. Il existe encore au milieu une excavation d’une petite profondeur.

De cela je conjecture ce qui suit:

Le fonds était occupé par une citerne immense, dont la voûte formait le sol de la cour. Autour de l’enceinte intérieure, il y avait des bâtiments qui égouttaient sur la cour. Ceux du rez-de-chaussée formaient des écuries et des magasins. Les étages supérieurs étaient pour la garnison.

Ainsi, dans les temps anciens, on ne voyait que ce qu’on voit aujourd’hui, de hautes murailles. Au dessus, un chemin de ronde, un parapet, des créneaux , et de petites places d’armes, sur le sommet des piliers ou arcs-boutants.

Je crois qu’on pouvait loger dans ce château 7 à 800 hommes, 150 à 200 chevaux, avec toutes les provisions pour trois mois.

Mais on n’avait pas besoin d’une aussi forte garnison; car, par sa situation, comme par sa construction, il était réellement imprenable.

En voyant ce château fort, on se demande pourquoi on l’avait placé au milieu de petites montagnes, loin des riches vallées et des plaines fertiles. Je pense qu’un seigneur puissant, grand batailleur, avait construit cette forteresse afin d’étendre au loin ses ravages. Les seigneurs de Bagnères-de-Bigorre, de Tournaille, de Lannemaizan, etc., avaient là un fort mauvais voisin. L’aigle sortait souvent de son aire et fondait inopinément sur sa proie.

Montgomery, général anglais, prit, dit-on, Mauvesin par famine, et précipita la garnison du haut des murailles de la tour. Le duc d’Anjou le reprit sur les Anglais, qui manquèrent d’eau. On prétend, dans le pays, qu’ils avaient encore du vin, et que le lendemain un orage, venant des montagnes, remplit l’immense citerne.

Jacques BUJAULT en 1840.

Crédit photo : Monique C pour Patrimoine de France


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