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L’abbaye de Saint-Benoît de Castres

Publi du mardi 20 novembre 2012
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Eglise Saint-Benoît

L’abbaye de Saint-Benoît de Castres a vécue de multiples mutations qui ont marquées son histoire et qui forment une partie de l’histoire de l’église actuelle de Saint Benoît. Les récits des historiens Borel et Caraven-Cachin dont est tissée cette analyse historique mêlant latin, vieux français et langue contemporaine vont dresser une fresque historique qui se déroule sur presque quatorze siècles.

Nous allons essayer de déscouvrir à taston et par conjectures l’architecture, les aménagements et les œuvres artistiques que possédaient les deux maisons abbatiales de Saint-Benoît.

Première partie

Le Monastère de Saint-Benoît est construit sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la Place Nationale (647 au Xe siècle).

Ce fut en 647 que Robert, Ancelin et Daniel construisirent, à quelques mètres de la rivière d’Agoût, des cellules avec du gazon, des branches et des feuillages et vouèrent leur vie à la prière et à la pénitence. Tel fut l’humble commencement de l’abbaye de Saint-Benoît de Castres.

Quelques années après, Faustin, ayant embrassé le Christianisme, se retira avec ces nouveaux solitaires et consacra ses immenses richesses à la construction de l’église et du monastère de Saint-Benoît (673). Ces nouvelles constructions s’élevèrent au bord de l’Agoût, au milieu d’un bois de sapins et non loin des cellules de gazon. Les historiens du Languedoc nous apprennent que l’église avait la forme d’une croix latine. Ce détail, dans l’architecture, constitue un des caractères les plus saillants de cette époque. Dans l’origine, les églises chrétiennes furent calquées sur les basiliques romaines, qui présentaient une forme rectangulaire avec un enfoncement semi-circulaire. Cependant il y eut aussi quelques églises circulaires au Ve siècle. La forme carrée, avec des voûtes en coupoles, devint ainsi un des caractères principaux des églises d’orient.

En Occident, les temples chrétiens offrirent des innovations partielles dans le plan des basiliques. La plus notable fut l’apparition des transepts, c’est-à-dire l’élargissement que prit le vaisseau entre l’abside et les nefs, de manière à donner au plan de l’édifice la forme d’une croix. Après le Ve siècle le choeur s’allongea progressivement, les autels se multiplièrent et les cryptes prirent un accroissement notable. L’occident resta fidèle au style latin.

Les Historiens du Languedoc ajoutent, que cette église avait un clocher qui était soutenu par quatre piliers. Ici Dom Vaisette se trompe, car ce fut évidemment la cloche qui donna l’idée de la tour ou du clocher, et l’on sait que son usage ne devint général, qu’au Ve siècle. Mais ce ne fut guère qu’au VIIIe ou au IXe siècle que le volume plus considérable des cloches rendit les tours indispensables. Anasthase-le-Bibliothécaire rapporte qu’en 770, le pape Etienne III en fit bâtir une sur l’église Saint-Pierre de Rome, dans laquelle il plaça trois cloches pour appeler les fidèles aux offices. L’auteur ne dit pas que cette église manquât de tour auparavant, mais il y a tout lieu de le supposer. Or, si la première basilique du monde chrétien ne fut pourvue d’une tour que dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, nous pouvons admettre hardiment, qu’on n’en éleva guère avant cette époque en France, et encore y furent-elles rares jusqu’à la fin du Xe siècle. La plupart de nos abbayes n’en avaient point dans le IXe, car il n’en est pas fait mention, dans les descriptions que. nous possédons et qui renferment des détails très circonstanciés sur la forme, les murailles, les fenêtres, les pavés, les dorures et sur les différentes parties de ces édifices, tels qu’ils existaient alors.

Église Saint-Benoît à castre vue intérieure en 2012.

Église Saint-Benoît à castre vue intérieure en 2012.

Cette église renfermait plusieurs tombeaux remarquables. Au milieu de la nef, dit Borel, estoit ensevely avec son effigie par dessus, Beru, nepveu de Addo, Roy de Barcelone, avec cette inscription :

« Hic tumulatur Princeps Beru, nepos Addonis Regis Barchinonensis, qui hortationibus fratris Helisachar Prioris Monasterii de Gastris, falsam deposuit Religionem, veram Suscepit, uno et eodem die Baptisatur, moritur et vivit in coternum, an no incarnati verbi octingentesimo. Idib. Septembris. »

L’annaliste Castrais ajoute : « Ce Roy Addo et Beru son nepveu estoient Mores, et, estans venus l’an 800 à Narbonne, ils y furent arrestez prisonniers, et de là conduits à Castres et enfermez dans la grosse tour de l’Abbaye (qui peut estre est cette tour d’Héraclius dont j’ai parlé ailleurs, ou la tour qui y reste servant de clocher à présent); et Beru estant mort dans trois mois, le Roy Addo fut conduit à Charlemagne ».

Ce passage de Borel, qui a été reproduit par tous les historiens, contient plusieurs erreurs qu’il importe de rectifier. D’abord, Beru ne fut pas enfermé dans la tour qui sert aujourd’hui de clocher, puisque ce monument appartient au XIe siècle comme nous le démontrerons plus loin. Ensuite, Eginard secrétaire de Charlemagne et auteur contemporain, nous affirme que Zade ou Addon, n’était pas Roi, mais gouverneur de Barcelone.

Voici la seconde épitaphe que Borel appelle la plus ancienne :

« Frater Jacobus de Austria, Monachus S. Benedicti et Bibliothecarius Coenobii Castrensis, vir eximioe pietatis, mirandoe humilitatis, stupendoe eruditionis, et altoe propaginis. Anno oetatis 63, et nonis Aprilis anni 792, coepit requiescere in pace. »

« Sur son tombeau estoient les armes d’Autriche.»

Quant au monastère, il fut bâti suivant la règle de Saint-Benoît qui fut généralement adoptée en Occident. On comprendra facilement que l’unité de la règle dut singulièrement favoriser l’unité de plan pour les maisons religieuses et leurs dépendances. Aussi, à part quelques légères différences dans les détails, ces couvents offraient toujours une disposition se rattachant à un type uniforme.

Les seuls renseignements qui nous ont été transmis sur cette construction monastique sont ceux relatifs au cloître dont les galeries étaient supportées par des colonnes de marbre blanc, qu’ombrageaient de noirs cyprés plantés dans le préau. A l’est, et dominant le cours de l’Agoût, se trouvait une large galerie servant de promenade, qui aboutissait à une belle salle ornée de trois rangs de pupitres et qui renfermait la bibliothèque, à côté de laquelle était ordinairement placé le chartrier qui communiquait avec le dortoir. Cette salle était au midi, l’église devait donc se trouver au nord. Cette orientation était la plus ordinaire ; car les architectes du VIIIe siècle avaient la bonne habitude de placer à l’abri du froid les bâtiments d’habitation afin de les faire jouir du soleil autant que possible. A l’Ouest se trouvait la salle capitulaire, puis les magasins, les parloirs, la cuisine et le réfectoire.

La bibliothèque renfermait plusieurs manuscrits précieux, puisqu’en 792 nous voyons à la tête de ce dépôt des connaissances humaines un homme d’un grand mérite F. Jacobus de Austria qui joignait, à une origine royale, une vaste érudition, comme le prouve la liste des ouvrages qu’il composa et que nous transcrivons ici :

  • 1° De Musica l. 3;
  • 2° de Geometria l. 2;
  • 3° de Arithmética l. 2;
  • 4° de Historia universali mundi l. 12;
  • 5° de Annalis S. Benedicti l. 3;
  • 6° de Viribus herbarum l. 6.;
  • 7° de Conjunctionibus l. 3;
  • 8° Comment. In lib. Regum et Epist. Pauli, de Elementis, de ente, de nominibus divinis, de Doctrina Judoeorum, de Adventu Messioe et de ultimo Indicio.

Ce monastère, qui s’étendait dans la partie de la ville comprise aujourd’hui entre les deux ponts, était entouré d’un mur. Les religieux de Saint-Benoît le cédèrent au Xe siècle à des moines Augustins et en firent construire un autre à la place des Ormeaux. Il fut démoli en 1563 ; le 9 février de cette année on fit sauter les voûtes de l’église et on rasa le reste des bâtiments, parce qu’ils servaient de forteresse pendant les guerres civiles.

Seconde partie

Le Monastère, de Saint-Benoît est construit sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la place des Ormeaux (Xe siècle à 1317).

Au moment où les moines de Saint-Benoît changèrent de résidence, l’architecture était encore simple et sévère ; il était réservé aux architectes du XIe et principalement du XIIe siècle, de s’occuper de ce qui plaît aux yeux, de chercher l’élégance et la pureté des formes.

Les religieux de Saint-Benoît construisirent encore leur église au nord de leur monastère. D’après un ancien plan de la ville de Castres, cette église avait la forme rectangulaire avec l’abside semi-circulaire. Nous avons vu que cette forme architecturale était très ancienne, puisqu’elle commence à apparaître au Ve siècle pour finir au XIe. A cette dernière époque les moines architectes, libres d’innover là où, de toutes pièces, ils construisaient des églises dont le besoin se faisait partout sentir, méditèrent de nouveaux plans, des dispositions nouvelles. Puis, nous les verrons au XVIe ou XVe siècle abandonner leur église romane pour construire une cathédrale ogivale à l’ouest de l’église du Ve siècle ; car, contrairement aux dires de tous les historiens qui nous ont précédés, nous avons découvert trois emplacements qu’a successivement occupé l’église de Saint-Benoît. Voilà pourquoi Borel se trompe, lorsqu’il dit que cette maison abbatiale de Saint-Benoît avoit son église au mesme lieu qu’est à présent l’église Cathédrale et son portail estoit aussi au même lieu que celuy de la dite Eglise. L’Eglise que Borel a vue en 1649 était le sanctuaire ogival qui était un bâtiment entièrement distinct de l’église romane, ainsi que le prouve le plan de Samuel Picard, et les restes de constructions, qui existent encore de ce monument religieux.

Il parait que cette église renfermait de très-beaux tombeaux qui furent tous ruinez durant nos troubles.

Au côté gauche et derrière le grand autel est un sépulchre de trois pieds sur lequel estoient pour armes 3 bourdons et 3 coquilles, qui portait cette inscription :

« Hicjacet Vuillelmus Beli… Vicarius et una ViceComes pagi Castrensis, qui Populo reddidit quoe sunt Populi, Domino comiti quoe sunt Comitis, Regi quae sunt Regis, et Deoquoe sunt Dei : Obüt Cal-Junü anno 1167. »

Par cette Epitaphe il appert que. le Roy ayant eu autrefois une portion dans le Comté de Castres, à scavoir un tiers, il tenoit un Vicomte dans Castres qui estoit aussi Viguier du Comte, c’est-à-dire son sénéschal, qui rendoit alors la justice au peuple.

Borel ajoute : J’ay aussi appris du Livre des Obits de cette Eglise, que :

« Anno 920, 3 Cal. Junii, obiit Joan. Genibrosa, habitator de Castris ter factus Consul, fundavit Capellam S. Mauri in Ecclésia sancti Benedicti, ejus frater Stephanus Genibrosa erat Prior hoc anno, et Aymericus Guillem de Prosapia illustri des Guillems erat abbas.

2. Cal. Augusti eodem anno obiit Adelays Bona uxor potentis viri Nicolai de Galona, sepulta est in Capella de Bona.

Nonis Februarii anno 1001, obiit Petrus et Manso Proepositus lanificii de Castris.

Idib. Maii, 1002 obiit nobilis Rostaynus de Corneliano et Nonis Nonis Maii ejusdem anni obiit nobilis Huguetus de Castro riridis.

Lors mourut aussi, nobilis Gofridus de Monteleone, vir potens et strennus et Vicarius (C. Viguier) Pagi Castrensis, sepultus fuit 3. Cal. Septembr. in Ecclesia santi Vincentii, in Capellam consulum de Castris. »

D’après Borel, ce Gofridus mourut du Morbusigneus. « Cette maladie populaire commençoit par une pustule qui naissoit à la main gauche et après gagnoit par tout le corps : ils moururent de cette maladie contagieuse 700 personnes de cette ville ».

Ces quelques inscriptions funèbres, qui nous ont été conservées par l’annaliste Castrais, nous apprennent le nom de trois chapelles et celui des personnes auxquelles on devaient des fondations pieuses. C’est ainsi que Jean de Genibrousse, qui avait été trois fois consul, fonda une chapelle dédiée à Saint-Maur dans laquelle il fut inhumé le 3 juin 920 ; Madame Adélaïde de Bonne, épouse de Nicolas de Galone, fut enterrée le 2 août 920 dans celle que cette dame avait fait construire et qui portait son nom ; enfin, le 3 septembre 1002 les restes de Geoffroi de Montléon furent déposés dans la chapelle des consuls.

Eglise Saint-Benoît

Église Saint-Benoît à Castres de nos jours

La nouvelle Abbaye, qui s’éleva non loin de l’église romane, ne différait pas sensiblement de celle du VIII siècle, c’est-à-dire que son architecture portait encore l’empreinte du génie du peuple-roi. Il nous faut arriver à la fin du XIe et surtout du XIIe siècle pour voir surgir des formes architecturales, plus intéressantes et plus riches, qui nous permettront de saisir le moment où l’art s’affranchit définitivement des traditions gallo-romaines. Nous n’avons malheureusement que très-peu de renseignements archéologiques sur cet établissement religieux. Borel dit que ce monastère estoit des plus superbes de France, mais plus loin il laisse entrevoir que les moines y apportèrent des modifications et des embellissements à diverses époques. C’est ainsi qu’il nous apprend que son portail était si rare en sa grandeur et en son ouvrage qu’on le mettait au rang des merveilles de ce pays, n’en ayant point alors de pareil en France. Il avait été bâti depuis l’établissement des évêques, c’est-à-dire depuis l’an 1317, à la place d’un autre plus ancien, sur lequel était cette inscription :

» Faustinus lapsis a Mauri morte decem octo

» Lustris, has Sancto Benedicto dedicat aras,

» Impensisque suis tota est structura peracta,

» Aptataque suis humeris de more cuculla

» Religionis amans cellis se devovet istis,

» Atque Abbas factus, mira pietate refulsit.

Cette circonstance nous prouve que les nombreuses donations faites aux maisons religieuses dans les XIIe et XIIIe siècles, permirent aux moines de consacrer des sommes plus considérables à la construction et à l’embellissement des cloîtres ; aussi voyons-nous de toute part les évêques et les abbés, agrandir, dans leurs villes épiscopales, leurs abbayes et les édifices consacrés aux usages de la vie.

Borel nous apprend encore que cette abbaye estoit située tout le long de la rivière d’Agoût, et tenoit depuis les Ormeaux jusqu’au lieu où sont à présent les Dominicains, c’est-à-dire qu’elle occupait l’emplacement compris entre l’hôtel de Ville et la Place Nationale. Cette maison était ornée d’une Bibliothèque si belle qu’il y avoit onze mil trois cens vingt-deux volumes. Cette admirable collection de manuscrits qui était, sans contredit, la plus nombreuse et la plus précieuse qu’il y eut à cette époque, en Europe, devint la proie des flammes en 1082.

Enfin, Borel termine la courte description de ce couvent par ces mots : Il y avoit en cette-même Abbaye beaucoup de belles tours. Or, il existe encore une de ces tours carrées, dont parle le médecin Castrais, et les ruines d’une seconde qui était fortement bâtie sur un rocher calcaire qui s’avance dans l’Agoût et que la rivière entoure à ses plus hautes crues. La première tour sert encore aujourd’hui de clocher à l’église Saint-Benoît. Quant à son acte de naissance, il n’est pas difficile de le déchiffrer, car il est inscrit sur les pierres de grès qui forment son appareil. Ses faux-mâchicoulis, son élégante porte romane qu’on a malheureusement dénaturée par une restauration ridicule, les gracieux détails de sculpture qui ornent ses chapiteaux, les colonnes et leurs bases, et surtout le peu de saillie de ses contre forts caractérisent la fin du XIe siècle et indiquent l’époque romane secondaire.

Tel était ce monastère, pieux asile des lettres et de la civilisation, qu’une bulle du pape Jean XXII, daté de l’année 1317, allait ériger en évêché et la communauté des religieux, en chapitre cathédrale.

Source :

  • Titre : Bulletin de la Commission des antiquités de la ville de Castres et du département du Tarn
  • Auteur : Commission des antiquités de la ville de Castres et du département du Tarn avec Alfred Caraven-Cachin
  • Date d’édition : 1878-1882
  • Photos : Pierre Bastien via Patrimoine-de-France.com 2012.

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